Rébellion de 2000 en Guinée: témoignage glaçant d’un rescapé

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Ma version des faits

Comme tant de frères et sœurs le font, je pense bien qu’il n’est jamais tard de faire le témoignage de ce fait marquant de l’histoire de Gueckédou et de la Guinée. Je veux raconter ce que j’ai vécu en introduisant par ce proverbe africain qui dit: « Quand la maison de ton voisin brûle, apporte de l’eau à la tienne » ou encore « Quand le feu est à la maison de ton voisin, la tienne est en danger ».

Quand la rébellion a commencé au Liberia en décembre 1989, il était difficile d’estimer les conséquences dramatiques que cela pouvait causer à cette date. Des milliers de personnes sont mortes y compris l’ancien Président de la République Samuel Doe. D’autres ont disparu. Des dégâts matériels incalculables ont été constatés. Des scènes de pillage et de vandalisme çà et là ont été commises. Un déplacement massif de rescapés vers les pays frontaliers notamment la Sierra Leone, la Guinée et la Côte d’Ivoire a été observé. Le pays a enregistré des scènes de violence et d’atrocité d’une barbarie sauvage indescriptible comme on le voyait sur les posters, les coupures de journaux, les journaux télévisés et ce qu’on entendait sur les ondes radios. Le Liberia était ainsi devenu un champ de bataille sans maître et un pays ingouvernable. Le plan machiavélique et satanique des hordes mercenaires a atteint vite la Sierra Leone qui partage les frontières terrestres importantes avec le Liberia. Là encore de nouvelles scènes de violence ont vu le jour. Les manches courtes et longues des membres supérieurs sans oublier la destruction des yeux des victimes par des lames de feu. Les interventions militaires des autres pays de la sous-région sous la bannière de l’ECOMOG ou de l’UNAMSIL ont été vaines.

J’en passe pour arriver à la conclusion que ces mouvements de rébellion inquiétaient sérieusement les guinéens. C’est pourquoi le 1er septembre 2000, le coup d’envoi fut donné à Massadou, un village de la sous-préfecture de Koyamah, préfecture de Macenta. Une première incursion rebelle avait ainsi inauguré la suite des séries d’attaques à Tékoulo, une sous-préfecture de Gueckédou, la commune urbaine de Gueckédou, Madina Woula dans la préfecture de Kindia et Pamelap dans la préfecture de Forécariah. Je ne retiens pas exactement maintenant le nombre total d’attaques rebelles qu’a connu la Guinée le long de ses frontières Sud avec le Liberia et la Sierra Leone de 2000 à 2001 mais les archives nationales en savent mieux.

Je reviens sur la toute première attaque rebelle de la Commune urbaine de Gueckédou, pas parce que je suis natif de cette préfecture ou que je la préfère à Macenta, Kindia, Forécariah et une autre localité de la Guinée ou de l’Afrique. Mais tout simplement parce que j’y ai vécu pleinement l’événement.

Les inquiétudes des guinéens ont développé naturellement des rumeurs de 1989, début de la rébellion au Liberia à 2000, début des incursions rebelles vers la Guinée. A Gueckédou l’intensité des rumeurs montait vivement à tel point que des comités d’autodéfense composés de jeunes volontaires et d’anciens combattants ont été formés et érigeaient des barrages un peu partout. Ces barrages érigés çà et là donnaient lieu de contrôles physiques réguliers de toute personne sauf que ces exercices n’ont jamais arrêté un vrai rebelle en circulation dans la localité. Ce qui m’avait poussé à poser cette série de questions:

– Quel est le portrait d’un rebelle?

– Où habite-t-il?

– De quoi se nourrit-il?

– Quelles sont ses activités quotidiennes?

– Comment pourrait-il traverser la frontière pour attaquer les Gueckédoua?

En attendant la réponse à mes questions, les rumeurs continuaient à alimenter les débats dans la cité et les villages. On parlait de lettres d’alerte déposées chez certains responsables indiquant l’imminence des scènes de terreur à Gueckédou.

Admis au baccalauréat deuxième partie avec d’autres collègues, nous devions aller à N’Zérékoré pour passer le concours d’orientation dans les institutions d’enseignement supérieur du pays. Le jour de notre voyage, la traversée n’a pas été aisée car le nombre de barrages et leur proximité expliquaient cette difficulté. Ce même jour, Balizia, un village situé sur la nationale Gueckédou-Macenta avait été attaqué par les rebelles après notre passage. Malgré tout cela, nous avons persévéré pour arriver à destination. Nous y sommes restés pendant deux semaines environ.

Mais pour connaître la vraie réalité, il faut attendre le 6 décembre 2000 soit juste un mois de notre retour à Gueckédou. D’ailleurs les jours très proches d’avant, tout se chantait un peu partout dans les quartiers de Gueckédou de l’arrivée des rebelles dans notre cité. C’était un indicateur qui voulait dire que les rumeurs ont mûrie et elles devaient donner les fruits aux paisibles populations de Gueckédou ce jour.

Nous sommes le mardi, 5 décembre 2000 quand la ville est bondée de commerçants et de marchands de tout genre venus de partout. De la journée à la nuit toute la ville était très animée. Mais il faut se poser la question de savoir chacun va vendre ou acheter quoi?

Il est 1 heure du matin lorsque couché seul dans la chambre j’entendis les coups de canon qui m’ont réveillé soudainement. Mon premier reflexe de courage a été de marquer l’heure de mon réveil derrière la photo de mon ami Saa Sékou qui était en déplacement ces jours. J’avais écrit ceci: « 1h05 mn, des attaques rebelles à Kènö ». Dans le même courage j’ai rejoint ma marâtre Thérèse pour la soulager et d’envisager la voie à suivre pour nous protéger avec tous les enfants de la famille. Ne trouvant de solution idéale à l’instant, j’ai couru chez mon amie Pascaline qui habitait dans le même quartier non loin de moi (Sandia). Chez elle, nous avons continué une fin de nuit hachée de sommeil et de psychose totale pour toute la maisonnée car nous étions dans une maison située au bord de la route nationale Gueckédou-Macenta. Nous avons été tentés à plusieurs reprises d’ouvrir la porte principale par les voix des personnes connues mais nous avons résisté jusqu’au petit matin. Ceux qui avaient obtempéré à ces types d’appels ont soit été tués ou ont été pris en otage en portant des bagages volés par les assaillants pour les accompagner vers le Liberia. Je me souviens bien que c’est exactement à 10h30 minutes que nous avons ouvert la porte quand nous avons pu dévisager à travers les ouvertures des fenêtres quelques passants dans la rue. Ils étaient des personnes bien connues de nous. Je suis sorti moi aussi pour rejoindre mon domicile familial à cette heure. Mais sur mon passage, j’ai traversé des milliers de corps qui jonchaient les rues. Je me rappelle bien d’un vieux El Hadj (voisin à Yawa Jeanne), Aly Kamano (un jeune volontaire), un corps écervelé à la gare routière de Sandia sur la nationale Gueckédou-Macenta, Faya (un jeune réfugié libérien et cohabitant). Arrivé à la maison j’ai trouvé que ma marâtre n’avait toujours pas décidé définitivement où partir. C’est ainsi que j’ai fait mon sac et je suis sorti pour chercher un abri sécurisé comme chacun le désirait ardemment.

Parti de Sandia, un quartier du centre-ville de Gueckédou aux environs de 11 heures, j’ai choisi la nationale Gueckédou-Kissidougou pour tenter de sauver ma vie. Ce n’était pas facile mais la psychose augmentait mon courage à quitter la ville. Sur cette route, les corps ne faisaient plus un mystère pour moi tellement qu’ils étaient nombreux. Nous tentions à les enjamber et non à les identifier. Au pont de la Boya, nous avons traversé un premier barrage fait d’intestins humains puis le second. Je continuais ma marche et à voir tant d’actes de vandalisme (maisons, bars café, stations d’essence, véhicules et autres édifices incendiés le long de la route).

A la Carrière juste après le lycée Tito, je vis un groupe de jeunes combattants portant des fusils de chasse. J’étais perdu car j’avais cru qu’ils étaient des rebelles mais leur bonne collaboration m’a permis de les connaître et comprendre leur mission. Au fait, on les appelait des Kamadjö (jeunes défenseurs locaux venus de la Sierra Leone). Ils nous parlaient le créole et je saisissais quelques mots en anglais. Pendant qu’ils nous protégeaient des balles faisaient tomber quelques-uns parmi nous car les assaillants cherchaient à conquérir le camp militaire présent sur la route.

Une fois arrivés au camp, nous avons trouvé des foules nombreuses lassées mais se sentaient en sécurité. Elles avaient occupé un grand espace sur les herbes mais hélas. Quelques instants après, l’armée guinéenne a réagi en faisant un tir d’une arme lourde et puissante vers le Liberia.

C’était la B52. Imaginez cette nouvelle scène de panique et que faire? C’est en ce moment que j’ai perdu de vue les compagnons de départ à la maison. C’étaient deux jeunes peulhs revendeurs ambulants de montres. J’ignore leur sort depuis cette séparation jusqu’à présent mais la vie est faite ainsi.

Arrivés à Tollo Bèngu le village suivant après le camp militaire, j’ai tenté de traverser le fleuve Waou pour rejoindre mon village Bandeinin en passant par Kévédou et autres villages sur la ligne. Mais ce fut vain car il n’y avait aucun piroguier pour m’aider à traverser. Je fus obligé de retourner à Tollo Bèngu et là soudainement j’ai rencontré Esther (une petite amie) avec sa famille mais un ami (René) m’a empêché ces genres de relations et je l’ai bien écouté. Ainsi, j’ai fini par abandonner cette belle fille avec sa famille. Nous avons continué la marche jusqu’à Gnaédou. Là, je comptais sur la présence de mon neveu Eric pour m’accueillir chez lui. Ce neveu est le grand frère d’Eugène, de Pascal, de Bernard, de Monique, de Jacques et père de Sitta et Bandabela. Malheureusement arrivé chez lui tout était complètement désert car il avait déjà fui avec toute sa maisonnée. Je compris davantage que l’affaire était très sérieuse. Je précise que nous étions en début du mois de Ramadan. C’est dans ce village que j’ai rencontré le doyen Alpha Carrière qui avait perdu son frère Mouctar la nuit froidement abattu par les assaillants dans la mosquée car il était imam et il fut trompé par leur appel.

C’est à cette escale que j’ai compris que la route nationale était bloquée à partir de Badala puisque les rebelles venus de la Sierra Leone avaient occupé la sous-préfecture de Yèndè Millimou. Deux autres jeunes garçons Eloi et Gomez s’ajoutaient à nous pour former un autre groupe de rescapés composé désormais de Joseph, René, Eloi et Gomez. Ironie du sort, nous avons suivi les autres rescapés sur la route qui mène vers le chef-lieu de la sous-préfecture de Guèndembou en passant par Soro. Quand nous sommes arrivés à Tyiessèneye, René a rencontré sa petite amie et s’écarta automatiquement de nous. Les rumeurs continuaient à alimenter les débats et nous étions tous perplexes. Néanmoins nous avons continué le périple jusqu’à Guèndembou puis à Dombadou où nous avons passé la nuit. Il faut noter que j’ai subi un jeun forcé du 5 au 7 décembre 2000 par constipation d’abord et par manque d’aliment ensuite. Réveillé au petit matin du 7 décembre 2000 dans le village de Dombadou, j’ai allumé le petit poste radio que je détenais pour m’informer. Et quand j’ai capté la BBC j’entendis ceci:

« De nouvelles incursions rebelles aux frontières Sud-Est de la Guinée, Gueckédou une ville stratégique est dans les mains des rebelles, quelques 700 morts ». Hop! C’est là qu’Eloi et Gomez m’ont laissé pour rejoindre leur maman à Kamian.

Je suis resté seul sur les sentiers de villages inconnus me dirigeant vers Kissidougou. Mon seul repère était d’atteindre Gbembédou, un village proche de Kondiadou, une sous-préfecture de Kissidougou. Avant d’arriver au village suivant (Koladou), je mangeai les peaux d’orange pour un peu résister à la faim de trois jours. Dans ce village, j’ai été invité à partager un repas public et j’ai pu manger difficilement. Ce qui m’a donné la force de continuer le voyage et j’ai trouvé à Komaloh la famille de mon ami Fodé Ouéndéno. Là, nous avons été très bien accueilli par sa grande sœur N’Déma et nous nous sommes bien reposé. J’ai continué le chemin avec eux jusqu’à Gbembédou où j’ai passé 10 jours avant de rejoindre Kissidougou en passant par Kondiadou comme prévu. J’étais dans ce village quand la ville de Kissidougou a été attaquée.

Après cette attaque dont les rebelles avaient connu une défaite cuisante à l’entrée de la ville de Kissidougou, la sous-préfecture de Yèndè Millimou a été libérée afin de faciliter le passage de Denis Glover, ancien ambassadeur de la France en Guinée pour une visite à Nongoa (une

sous-préfecture de Gueckédou frontalière au Liberia et à la Sierra Leone).

Quand je suis arrivé dans la ville de Kissidougou, j’ai rejoint la famille de mon beau-frère Gilbert où je suis resté pendant plusieurs semaines. Je signale de passage que durant tout ce temps, environ plus d’un mois, mes parents restés à Gueckédou n’avaient aucune nouvelle de moi. Un jour, j’ai profité de la mission d’un frère qui travaillait à la GIZ à l’époque pour lui donner une de mes photos afin de la remettre à mon neveu Éric au campement des réfugiés de Gnaédou. Éric s’est réjoui d’avoir de mes nouvelles et a envoyé immédiatement ma photo à Bandeinin mon

village natal. Quelle joie de la famille! Quelques temps après, les résultats du concours d’orientation ont été proclamés et je fus orienté à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry. A cette occasion, j’ai été à Gueckédou pour informer les parents de la bonne nouvelle et leur dire au revoir. Mais même le jour que je quittais le village pour Conakry en passant par Kissidougou, les tirs d’armes à feu crépitaient dans la ville de Gueckédou.

J’appuie ma plume sur quelques faits marquants et proposer un certain nombre de solutions dans ce dossier peu connu des générations d’aujourd’hui. Lors des incursions rebelles des assaillants avaient fait des prises d’otages massives dont certains ont été libérés miraculeusement comme ma cousine Sia Odile Doufangadouno (paix à son âme), Capi de

Kangö, Monsieur Jean Bernard Kamano à Kassadou et d’autres disparus dans la nature (Listo, vieux Saa de Hermakono, etc.). Aucune lumière n’a été faite sur leur dossier et l’Etat guinéen n’a pas posé d’acte concret à ce propos. Certaines victimes continuent à souffrir encore de leur traumatisme moral ou physique. Les actes d’atrocités ont été commis sur nos populations de façon injuste par des assaillants inconnus et nous n’avons formulé aucune plainte pour déposer dans une juridiction compétente. Le bâtiment qui abritait les archives de la préfecture a été systématiquement pillé et vandalisé ainsi que d’autres édifices publics ou privés. Aucune action n’a été prise pour leur réhabilitation convenable. Durant cette période beaucoup de factions rebelles peuplaient la ville (l’ULIMO, les Kamadjö, les Jeunes volontaires) et j’ose croire que nous ignorons aujourd’hui leur sort national. La ville de Gueckédou a été martyrisée et sinistrée complètement mais aucune voix ne se lève pour réclamer le droit de ce titre ou du moins pour redorer son image d’antan. 19 ans après ces événements, les filles et fils de Gueckédou n’arrivent pas encore à créer un cadre de réflexion pour faire l’unité, la synergie d’action et la solidarité dans la diversité pour un développement inclusif de la préfecture. C’est plutôt les déchirements et les haines qui font la une entre nous. Je dis attention car le temps passe vite, de façon exponentielle.

Au regard de mes constats non exhaustifs, je propose d’écrire un livre de mémoire collective des attaques rebelles de 2000 à 2001 en Guinée, construire des stèles sur les sites d’attaques rebelles, déclarer une journée nationale de commémoration des victimes de ces événements, apporter un soutien matériel aux zones sinistrées pour apaiser les cœurs et permettre les recueillements par moment, créer un fonds de solidarité en direction des victimes directes et collatérales.

Je suis gueckédounö et tout simplement un guinéen qui dois écrire les pages de notre histoire commune avec toutes ses couleurs dans un esprit patriotique et une probité morale impartiale.

Joseph Fodé TELLIANO (une victime)

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